Arguments

La démocratie directe compte parmi les biens les plus nobles de Suisse. La confiance en elle ne doit pas être runiée par des systèmes de vote électronique dangereux et peu transparents. C’est pourquoi nous voulons interdire le vote électronique grâce à un moratoire, qui durera jusqu’à ce qu’il devienne transparent et ne puisse plus être manipulé. Ce n’est que lorsque toutes les étapes du vote pourront être vérifiées et seront compréhensibles pour les électeurs sans compétence particulière que nous pourrons préserver la confiance en notre démocratie directe.

Le vote électronique : qu’est-ce que cela signifie ?

Le vote électronique (ou « e-voting ») signifie que les électrices et électeurs peuvent voter par Internet. Jusqu’ici, le vote électronique n’a joué qu’un rôle marginal lors des votations et élections. En Suisse, la Confédération et des cantons ont mis sur pied des projets d’introduction du vote électronique depuis l’an 2000. En 2004, ce canal de vote a été utilisé une première fois lors d’une votation fédérale, à titre d’essai. Le canton de Genève s’est particulièrement profilé comme pionnier du vote électronique. Il a développé et héberge son propre système, qui est utilisé par d’autres cantons (mais qui va être stoppé en 2020, officiellement « pour une question de coût »). Le deuxième système, utilisé par plusieurs cantons est celui de La Poste Suisse (laquelle se fournit auprès d’une entreprise privée étrangère). Entre les premiers essais et le début de l’année 2019, 14 cantons ont testé le vote électronique sous une forme ou une autre.

Vers « Les étapes du vote électronique » (Chancellerie fédérale)

Comment fonctionne le vote électronique ?

Les électrices et électeurs qui peuvent voter par Internet reçoivent une enveloppe contenant plusieurs codes d’accès, en plus des documents électoraux usuels. Selon leur canton de domicile, ils doivent en plus s’annoncer au préalable s’ils souhaitent voter par Internet. Le premier code leur sert à se connecter au système de vote. Si cette étape est franchie avec succès, ils peuvent voter en quelques clics. Ensuite, le système est censé vérifié si leur « oui » ou leur « non » a été correctement transmis. Tout à la fin, ils doivent valider leur vote avec un « code de finalisation ».

Le vote électronique ne simplifie rien

Le constat est sans appel : voter par Internet n’est ni plus facile, ni plus rapide, ni meilleur marché. Les documents doivent tout de même être transmis par la poste. Après avoir ouvert leur enveloppe, les électrices et électeurs doivent prendre le temps de se connecter, sans se tromper de code. Pour de nombreuses personnes, il est donc beaucoup plus compliqué de voter par Internet. Le seul avantage objectif est de pouvoir voter indépendamment du lieu où l’on se trouve (pour autant que l’on ait accès à Internet).

Qui peut utiliser le vote électronique ?

Les cantons décident eux-mêmes qui peut utiliser le vote électronique. Dans la moitié des 10 cantons qui proposent actuellement ce canal de vote, seuls les Suissesses et Suisses de l’Etranger peuvent l’utiliser. Dans d’autres cantons, seuls les électeurs inscrits dans certaines communes y ont accès. Le nombre de personnes qui peuvent utiliser le vote électronique est donc limité : au maximum 30% du corps électoral (système genevois), respectivement 50% (système de la Poste) ont le droit de voter par Internet.

La Confédération accélère les choses

La Confédération a toujours prétendu appliquer la devise « la sécurité doit primer la vitesse ». Après 20 ans de tests, elle passe désormais à la vitesse supérieure. Le Conseil fédéral a décidé en décembre 2018 de généraliser le vote électronique et d’en faire un canal ordinaire de vote, au même titre que le vote à l’urne ou par correspondance. Même si les problèmes rencontrés lors des tests ont été nombreux, le Conseil fédéral prétend que le vote électronique peut être considéré comme « sûr et fiable ». Dès 2017, la Chancellerie fédérale a annoncé qu’elle voulait que le vote électronique soit introduit dans les deux tiers des cantons pour les élections fédérales de 2019. Les bases légales nécessaires n’ont toutefois été mises en consultation que fin 2018, après l’annonce du lancement d’une initiative pour un moratoire sur le vote électronique.

Le comité d’initiative est très inquiet de la naïveté dont font preuve les autorités fédérales et cantonales qui persistent, malgré une opposition grandissante, à vouloir introduire coûte que coûte le vote électronique.

La Confédération ignore les failles

De plus en plus d’élu-e-s et d’expert-e-s en informatique, mais aussi de simples citoyen-ne-s, par ailleurs plutôt favorables aux progrès technologiques, remettent en question l’introduction à marche forcée du vote électronique. Les risques pour la sécurité sont trop importants, de même que les risques d’une perte de confiance dans nos institutions démocratiques. En novembre 2018, cette défiance a atteint un sommet lorsque les hackers du Chaos Computer Clubs ont découvert une faille dans le système genevois et l’ont rendue publique. Suite à cette publication, le Canton de Genève a annoncé qu’il stopperait son système en 2020. L’explication officielle : les cantons qui utilisent le système genevois ont refusé de contribuer financièrement à son développement. L’avenir du vote électronique dans les cantons est depuis de plus en plus incertain, ce qui n’empêche pas ses partisans de continuer d’appuyer sur l’accélérateur.

Pourquoi cette initiative ?

En 2018, deux interventions parlementaires voulaient stopper l’introduction généralisée du vote électronique, respectivement lui fixer des conditions strictes. Il s’agissait des initiatives parlementaires de Balthasar Glättli (PES/ZH) et de Franz Grüter (UDC/LU). Balthasar Glättli voulait que les toutes les étapes essentielles du processus électoral puissent être vérifiées par le public. Franz Grüter demandait quant à lui de stopper les essais de vote électronique pour quatre ans, en tout cas jusqu’à ce que ce canal de vote soit totalement sûr. Ces deux propositions ont été rejetées lors de la session d’hiver 2018.

Comme ces interventions parlementaires n’ont pas été couronnées de succès, un comité interpartisan a décidé de lancer une initiative populaire pour un moratoire sur le vote électronique.

Pourquoi un moratoire ?

Un moratoire, c’est un arrêt temporaire fixé dans la loi. L’initiative pour un moratoire sur le vote électronique demande que ce canal de vote soit interdit aussi longtemps qu’il ne respecte pas les conditions fixées par la Constitution fédérale, mais pour 5 ans au minimum. Ces conditions constitutionnelles seraient les suivantes :

  • les électeurs peuvent vérifier, sans connaissances spécialisées particulières, les étapes essentielles du vote électronique ;
  • toutes les voix sont comptées telles que les électeurs les ont données, conformément à leur volonté libre et réelle et sans influence de l’extérieur ;
  • les résultats partiels du vote électronique peuvent être établis de manière univoque et non falsifiée et, si nécessaire, être vérifiés de manière fiable sans connaissances spécialisées particulières par le biais de nouveaux comptages.

Le vote électronique doit offrir les mêmes garanties en matière de sécurité et de protection contre les manipulations que le vote sur papier, à l’urne ou par correspondance.

–> Informations supplémentaires sur la différence entre le vote à l’urne et par Internet

Pourquoi un moratoire de cinq ans ?

Pourquoi prévoir un moratoire de cinq ans et pas de cinq mois… ou de 50 ans ? Le comité d’initiative pense qu’il s’agit d’un délai raisonnable pour mettre sur pied un système de vote électronique qui remplisse les conditions constitutionnelles. Il n’existe bien entendu pas de formule mathématique pour calculer la durée idéale d’un moratoire. Le plus important, c’est que les critères de sécurité et de fiabilité soient respectés.

De nouveaux tests sont-ils exclus pendant la durée du moratoire ?

Quelques critiques de l’initiative redoutent que mêmes de nouveaux tests de vote électronique seraient rendus impossibles par le moratoire. Le comité d’initiative n’est pas de cet avis. Des hautes écoles ou des organismes privés pourront toujours mener des recherches pour concevoir un système fiable. En revanche, des tests « en live » seront interdits lors de véritables votations et élections. Lorsque les critères fixés par l’initiative seront remplis, les chambres fédérales pourront lever le moratoire et autoriser à nouveau le vote électronique.

Nous ne sommes pas des adversaires du progrès technologique !

Le comité d’initiative est composé de nombreuses personnes qui soutiennent le progrès technologique. Certaines d’entre elles sont même actives dans les nouvelles technologies à titre professionnel. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard que des spécialistes en informatique soient sensibles aux problèmes que posent les systèmes pilotés par ordinateurs. Aucun de nous ne veut interdire le vote électronique à tout jamais par rejet du progrès technique. Au contraire, nous sommes persuadés que le vote électronique pourra être accepté par la population et largement utilisé lorsqu’il sera sûr, transparent et vérifiable par tout un chacun.

Le Chaos Computer Club, qui regroupe probablement les meilleurs hackers du monde, affirme d’ailleurs que « Nous en savons trop sur les ordinateurs pour accepter de leur confier la démocratie. »

La démocratie a besoin de confiance

Si un vote populaire aboutit à un résultat très serré, ce qui n’est pas rare, il est possible de conserver les bulletins en papier et de les recompter. Ce système a fait ses preuves et crée de la confiance, car il est compréhensible par toutes et tous. En cas de vote électronique, les votes disparaissent dans une mer de bits et de bytes que seuls une poignée de spécialistes comprennent. Le peuple ne peut alors plus vérifier lui-même le dépouillement et perd toute confiance dans les résultats des élections et votations.

La confiance dans les décisions prises démocratiquement est essentielle à la paix sociale. Nous refusons donc toute expérimentation avec la démocratie. On ne joue pas avec les droits populaires !

Le dépouillement doit rester compréhensible

Contrairement au vote sur papier, le vote électronique ne permet pas à tout un chacun de vérifier le bon déroulement du scrutin. Des dizaines de milliers de scrutatrices et scrutateurs participent au dépouillement des bulletins de vote « papier » en se surveillant mutuellement. En revanche, seuls quelques spécialistes en informatique sont capables de comprendre comment fonctionne le dépouillement du vote électronique. Ils ne se trouvent d’ailleurs souvent même pas là où le dépouillement a lieu. Or, pour génère la confiance, il faut un dépouillement transparent, dont on peut être sûr que d’éventuelles fraudes seront découvertes.

« Les élections ont deux objectifs : le premier, le plus évident, c’est de déterminer correctement qui a gagné. Le second, tout aussi important, c’est de convaincre le perdant » Bruce Schneier, expert en cryptographie (cité par Balthasar Glättli)

Le vote électronique n’augmente pas la participation

Les tests dans les cantons l’ont démontré : le vote électronique ne permet pas d’améliorer la participation aux scrutins, y compris celle des jeunes (même si c’est ce que promettaient ses partisans). La réalité est toute autre : le vote électronique ne permet pas de motiver les jeunes à se rendre aux urnes, ni ne fait gagner du temps. Entre temps, même la Chancellerie fédérale a admis qu’augmenter la participation n’est plus « l’objectif premier » de la généralisation du vote électronique. Le Conseil fédéral tempère même les ardeurs en écrivant que « c’est l’objet soumis au vote qui est décisif pour la participation, pas le canal de vote ».

On peut donc légitimement se poser la question : si le vote électronique n’augmente pas la participation électorale, quels avantages lui restent-ils face aux dangers qu’il génère ?

Des coûts astronomiques et injustifiables

En 2002, la Confédération estimait les coûts des 10 premières années de la généralisation du vote électronique à entre 400 et 620 millions de francs. Si l’on se fonde sur les nombreux surcoûts qu’on générés les projets informatiques de la Confédération, la facture risque d’être beaucoup plus salée. En 2011, le Canton de Zurich a admis que chaque voix exprimée par vote électronique coûtait 50 francs pour un citoyen résidant en Suisse et 150 francs pour un Suisse de l’Etranger. Dans sa réponse à une question posée par un élu UDC au Grand conseil lucernois, le Gouvernement de ce canton a admis qu’un vote électronique coûte 50% de plus qu’un vote exprimé sur papier. Les coûts totaux des projets de vote électronique dans toute la Suisse sont encore inconnus. Pour en savoir plus, le conseiller national Claudio Zanetti (UDC/ZH) a posé la question en décembre 2018. Il n’a toujours pas reçu de réponse.

E-banking : comparaison n’est pas raison

Souvent, les partisans du vote électronique argumentent que, puisque le E-banking a pu s’établir en tant que moyen de paiement facile et sécurisé, il doit en aller de même du vote électronique. Pourquoi ne serait-il pas possible d’appliquer aux processus démocratiques ce qui fonctionne parfaitement dans le secteur financier ? La réponse est simple : ce sont deux processus très différents ! A la différence du e-banking, où le client doit être identifié avec précision lors de chaque transaction, le vote électronique ne doit pas pouvoir relier un électeur à ce qu’il a voté, sous peine de violer le secret du vote. Il ne faut surtout pas conserver la trace de ce que chacun a voté. Tout cela rend le vote électronique beaucoup plus complexe à mettre en œuvre que le e-banking.

Pas de protection contre les hackers

Les expert-e-s en matière de sécurité informatique nous avertissent : à l’heure de la cyberguerre, des guerres économiques et de l’augmentation des attaques informatiques, il serait extrêmement dangereux de généraliser le vote électronique. Des exemples dans d’autres pays – mais aussi en Suisse ! – ont montré que les infrastructures sur lesquelles reposent le vote électronique peuvent être manipulées. Lors de la « Def Con », une des plus grandes conventions mondiales de hackers, des pirates informatiques ont démontré la vulnérabilité des systèmes de vote électronique utilisés aux USA et dans d’autres pays. Ils ont pu percer en moins de deux heures des systèmes dont on garantissait pourtant la fiabilité absolue.

Le danger d’une manipulation des scrutins est réel

Il est tout simplement naïf de croire que des criminels qui se sont déjà attaqué à des grandes entreprises ou des administrations aux infrastructures surprotégées vont se priver de s’en prendre au vote électronique en Suisse. Les experts en la matière tirent la sonnette d’alarme : le danger d’une manipulation des scrutins est réel. Il est désormais clair que des Etats ou des groupes non-étatiques ne reculent devant rien pour influencer les résultats électoraux. Le résultat extrêmement serré de l’initiative « contre l’immigration de masse » est un bon exemple d’un résultat de votation où le transfert de seulement 20’000 voix aurait changé le résultat. Or, une manipulation électronique aurait été totalement invisible.

Le système genevois a été piraté

En novembre 2018, des hackers du Chaos Computer Clubs ont montré qu’il est facile de détourner des votes électroniques vers un faux serveur, grâce à une attaque simple du type «Man in the Middle » et cela sans que personne ne s’en aperçoive. Ce n’était pas la première faille de sécurité détectée dans le système genevois. En 2013, un autre hacker a découvert une faille qui permet, grâce à l’introduction d’un malware, de modifier les votes des électeurs sans qu’ils ne le remarquent. Ce hacker a développé un virus qui permet de changer un vote électronique après coup directement sur l’ordinateur de l’électeur. Les promoteurs du système genevois ont minimisé ces problèmes… puis décidé de tout stopper en 2020.

Les cantons quittent le navire

Pendant que la Chancellerie fédérale se gargarise de généraliser le vote électronique, la résistance croît dans les cantons. Et elle dépasse les clivages partisans. En 2018, les parlements des cantons de Bâle-campagne, Uri et Jura ont refusé de tester le vote électronique. Toujours en 2018, c’est le gouvernement du canton de Glaris qui y a renoncé. Dans le canton de Zurich, le Parlement a décidé de stopper tous les investissements dans le vote électronique. Et, dans d’autres cantons comme Bâle-ville et Argovie, les parlements devront se prononcer sur des propositions de renoncer au vote électronique.

Nous prenons les demandes des Suisses de l’Etranger au sérieux

L’Organisation des Suissesses et Suisses de l’Etranger (OSE) fait partie des partisans les plus enthousiastes du vote électronique. Elle relève en effet que, dans de nombreux pays, les documents électoraux arrivent trop tard, ce qui entrave fortement la participation aux scrutins. Les Suisses de l’Etranger espèrent que le vote électronique remédiera à cette situation intenable. Nous partageons leurs préoccupations. Elles sont légitimes. Mais, comme le vote électronique passe par la poste (pour l’envoi des codes d’accès et de vérification), cela ne va en rien résoudre leurs problèmes !

Si les services postaux ne fonctionnent pas bien, le vote électronique ne va pas améliorer la situation. En revanche, s’il existe d’autres méthodes pour favoriser la participation électorale des Suisses de l’Etranger sans que cela ne remette en cause la fiabilité des scrutins, nous les soutiendrons sans hésiter ! Ces alternatives existent d’ailleurs déjà.

–> Plus d’information sur le vote électronique pour les Suisses de l’Etranger

Les autres pays renoncent

A part l’Estonie (où seul un quart de l’électorat vote par Internet) la Suisse est le seul pays d’Europe qui mise sur le vote électronique. Aux Pays-Bas, les tribunaux l’ont interdit en 2006 déjà. En 2009, la Cour constitutionnelle fédérale allemande a jugé que le vote électronique est anticonstitutionnel. En Autriche, le gouvernement a stoppé le vote électronique suite à diverses pannes, notamment lors d’élections estudiantines. L’ancienne ministre autrichienne de la science Beatrix Karl a dit à ce propos : « Le vote électronique n’est pas compatible avec les principes fondamentaux d’élections libres, secrètes et personnelles ». La France, la Grande-Bretagne et l’Irlande ont aussi renoncé au vote électronique pour raisons de sécurité. En raison de failles majeures, la Norvège a, juste avant des élections, renoncé au vote électronique, en 2014 . Fin 2017 le gouvernement finlandais a annoncé qu’il renonçait au vote électronique. Le danger d’une perte de confiance était trop grand.